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Affaire beIN Sports

Publié le : 27/10/2014 12:54:45
Catégories : Audiovisuel | Cinéma , Droit des contrats

Dans le cadre de la procédure initiée par la société beIN Sports devant l’Autorité de la concurrence, les juges ont confirmé la décision de l'Autorité ayant estimé que la pratique consistant pour les sociétés du Groupe Canal Plus et la Ligue à avoir négocié de gré à gré puis conclu un accord exclusif attribuant les droits de retransmission du Top 14 pour une durée de cinq années, en excluant tout autre opérateur du processus d'attribution, révèle, en l'état de l'instruction, un objet et/ou un effet anticoncurrentiel susceptibles de caractériser une entente contraire aux articles L. 420-1 du code de commerce et 101du TFUE. Les éléments à l'appui de la saisine de l’Autorité sont suffisamment établis pour justifier d'une instruction au fond.

Les pratiques dénoncées par la société beIN Sports France concernent les conditions dans lesquelles la Ligue nationale de rugby et la société Groupe Canal Plus ont conclu, le 14 janvier 2014, un accord au terme duquel la Ligue a attribué au Groupe Canal Plus la totalité des droits de diffusion des matches de la compétition de rugby désignée sous l'appellation « Top 14 ». Cette compétition est nationale, elle se déroule tout au long de l'année et oppose les quatorze meilleurs clubs professionnels de rugby à XV, lesquels comptent dans leurs équipes les meilleurs joueurs internationaux évoluant en Europe.

Marché de l'offre de télévision payante

La Cour d’appel de Paris a confirmé qu’il existait un risque que la privation de la possibilité de présenter une offre et de concourir à un appel à concurrence s'agissant de l'attribution des droits de diffusion du Top 14 est susceptible d'avoir eu un effet sur le marché de l'offre de télévision payante.

S'il existe sur les marchés des droits de diffusion de compétitions sportives des durées d'exclusivité de cinq ans, voire de six, il n'en demeure pas moins que la durée de cinq ans, qui excède d'une année ce qui était prévu par l'appel d'offres, a pour effet de porter à huit ans l'exclusivité détenue par les sociétés du Groupe Canal Plus, sans remise des droits en compétition sur le marché, alors qu'ainsi que l'indique la Ligue, l'intérêt du public pour le rugby est en développement, que le Top 14 constitue une compétition premium et qu'il n'est pas démontré que d'autres droits, comme ceux du tennis, du Hand-ball et de la formule 1, sont susceptibles de constituer une véritable offre alternative.

Les droits de diffusion des matches du Top 14 constituent bien des droits dits « premium », portant sur des événements susceptibles de générer des taux d'audience élevés et qui constituent par leur attrait des motifs d'abonnement, ou en d'autres termes, des « moteurs d'abonnements ».

Le Top 14 constitue auprès du public la deuxième motivation en terme de volume d'abonnement (32 %), après la ligue 1 de football et avant la Ligue des champions (31 %), ainsi que la Première Ligue (17 %), qui sont toutes deux des compétitions de football. Ces pourcentages démontrent à tout le moins un intérêt particulièrement important et identifié pour le Top 14 des abonnés ou éventuels abonnés à une ou des chaînes de télévision payante.

Ni le fait que l'autorité de la concurrence ait examiné les montants d'acquisition des droits du Top 14 sans les comparer à ceux des droits de différentes compétitions de football, ni le fait que la tendance à l'augmentation de la valeur des droits de diffusion, relevée par l'autorité, puisse être constatée aussi sur les droits du football, ne sont de nature à exclure la qualification de droits premium. En effet, le Top 14 appartient à une catégorie de quelques compétitions, autres que de football, dont les droits excèdent 10 millions d'euros et que parmi ces compétitions il constitue celle dont les droits sont les plus élevés, dépassant significativement les autres compétitions de rugby (Hcup et Coupe du Monde de Rugby à XV), mais aussi la Formule 1 et Roland Garros et qu'enfin le montant de ces droits a connu, depuis 1999, une augmentation constante, les sociétés du Groupe Canal Plus ayant accepté en dernier lieu de doubler le montant des droits de diffusion.

Mise en concurrence des droits premium

Si aucune disposition de droit interne ou communautaire n'impose que les droits du Top 14 soient attribués au terme d'une mise en concurrence, il résulte néanmoins de la pratique décisionnelle de la Commission européenne, telle qu'elle ressort des décisions des 23 juillet 2003 (COMP/C.2-37.398), relative à la commercialisation des droits de l'UEFA Champions League, 19 janvier 2005 (COMP/C.2-37.214), relative à la commercialisation des droits du championnat allemand de football (Bundesliga) et 22 mars 2006 (COMP/C.2-38.173), relative à la commercialisation des droits de la Premier League, que ces droits, compte tenu de leur caractère premium, doivent être commercialisés selon une procédure de mise en concurrence afin d'éviter le risque de mise en oeuvre de pratiques anticoncurrentielles.

Ces principes ont été adoptés et appliqués par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 03-MC-01 du 23 janvier 2003. La Ligue qui se trouvait dans la même situation de cédante centralisée de droits que les opérateurs concernés par les décisions précitées, avait, jusqu'à la pratique dénoncée, procédé par appels à la concurrence, et ceci quand bien-même eût-elle estimé que les droits qu'elle offrait n'étaient pas des droits premium.

En l’espèce, si la société beIN Sports a négocié certains contrats de gré à gré, elle a rapporté    toutefois la preuve que les attributions des droits en cause ont été précédées de consultations de ses concurrents et que, de plus, elles ont été isolées au regard du nombre particulièrement important de droits relatifs à des manifestations premium attribués à l'issue d'un appel à concurrence, notamment, en ce qui concerne le rugby puisqu'ainsi que le démontre la société beIN Sports, sans être contestée, les droits relatifs à la Coupe d'Europe et au challenge européen, au tournoi des six nations, aux rencontres amicales du XV de France, et à la coupe du monde sont attribués après mise en concurrence .

Exclusivités et concurrence

Si les exclusivités ne sont pas anticoncurrentielles par elles-mêmes, le caractère anticoncurrentiel présumé de la pratique retenue par l'Autorité de la concurrence ne réside pas dans le fait que ces sociétés aient obtenu un tel droit, mais dans le cumul des circonstances de négociation et de leur aboutissement à l'octroi de l'exclusivité pour une durée de cinq ans, constituant ensemble un faisceau d'indices.

S'agissant de ces circonstances, il convient de relever que si le contrat de 2011 devait prendre fin en 2016, la Ligue a, au mois de mai 2013, étudié l'intérêt que pourrait avoir pour elle sa résiliation anticipée comme le lui permettait l'article 15-1 du contrat et qu'elle a, ainsi qu'elle le fait valoir, consulté la société beIN Sports France. Son dirigeant, dans une lettre du 24 juin 2013 adressée au président de la Ligue, a manifesté son intérêt pour les droits du Top 14 et l'a confirmé dans une rencontre avec le comité de pilotage en septembre suivant.

Le fait d'avoir brusquement interrompu la procédure d'appel d'offres, pour reprendre les négociations qui avaient, avant le lancement de celle-ci, échoué, et négocier dans le secret un nouvel accord comportant une clause d'exclusivité pour cinq années, durée qui, si elle existe dans d'autres contrats, est longue s'agissant de droits exclusifs, et ce alors qu'au moins un concurrent, en phase de développement sur le marché de l'édition de chaînes payantes, avait manifesté à plusieurs reprises son intérêt pour les droits en cause, est susceptible de caractériser un objet anticoncurrentiel.

Historique de la cession des droits du Top 14

Pour rappel concernant le Top 14, la Ligue et le Groupe Canal Plus ont conclu des contrats d'exclusivité de diffusion des droits depuis 1999. Le dernier contrat précédant les faits qui ont donné lieu à la saisine de l'Autorité de la concurrence, avait été conclu, à la suite d'une consultation des acteurs du marché demeuré infructueuse, le 14 décembre 2011, pour cinq saisons de 2011/2012 à la saison 2015/2016 en contrepartie d'une rémunération moyenne de 31,7 millions d'euros par saison. À la suite des engagements souscrits par les sociétés du groupe Canal Plus dans le cadre de l'opération de concentration TPS / CanalSat, une clause de résiliation anticipée au bénéfice de la Ligue a été insérée dans le contrat. Elle prévoyait que celle-ci pourrait user de cette faculté à l'issue de la saison 2013/2014, sans aucune pénalité sous réserve de notifier sa décision aux sociétés Canal Plus et Canal Plus Distribution, au plus tôt le 1er septembre 2013 et au plus tard le 31 décembre 2013. Dans cette hypothèse, l'article 15.2 de la convention précisait que la Ligue ne pourrait attribuer les droits d'exploitation jusqu'alors concédés à ces sociétés pour les saisons suivantes « (') qu'à l'issue d'une mise sur le marché transparente et non discriminatoire telle qu'une consultation ou un appel à candidature qui ne pourra débuter qu'après la notification à Canal+ et Canal+ Distribution de la décision de la LNR d'exercer sa faculté de résiliation anticipée du contrat au terme de la saison 2013/2014 ».

La Ligue a constitué, dès le mois de décembre 2012, un comité de pilotage chargé de préparer la renégociation des droits du Top 14 et de présenter des propositions en ce sens au comité directeur. Ce comité de pilotage a engagé, en septembre 2013, une consultation des acteurs du marché de la télévision payante. À la suite de plusieurs échanges et propositions entre la Ligue et les sociétés du groupe Canal Plus, celles-ci ont adressé le 2 décembre 2013 une offre améliorant sa dernière proposition. Celle-ci a été refusée par la Ligue qui l'a jugée insuffisante.

Le même jour, elle a notifié aux sociétés du Groupe Canal Plus qu'elle avait décidé de mettre en oeuvre la résiliation anticipée et elle a annoncé dans un communiqué de presse qu'elle lançait un appel d'offres. Cette procédure concernait les saisons 2014/2015 jusqu'à la saison 2017/2018 et prévoyait une remise des propositions le lundi 13 janvier 2014 entre 13 et 15 heures.

Les sociétés du Groupe Canal Plus ont estimé que la Ligue avait interrompu les négociations en cours de manière fautive et ont alors lancé contre elle plusieurs actions judiciaires tendant à faire valoir les droits qu'elles revendiquaient et à faire suspendre l'appel d'offres. Parmi ces procédures, un référé d'heure à heure a été plaidé le 8 janvier 2014, le délibéré devant être rendu le 13 janvier suivant, soit à la date de remise des offres.

Le 10 janvier 2014, la Ligue a décidé d'interrompre l'appel d'offres et a précisé dans un communiqué de presse que « compte tenu de l'existence des actions judiciaires intentées par Canal Plus, que la LNR juge totalement infondées et qui affectent le bon déroulement de l'appel d'offres, dont notamment, le dépôt des offres prévu lundi 13 janvier 2014, le comité directeur de la LNR (...) a décidé (...) d'interrompre cette procédure ( ') en arrêtant ce jour l'appel d'offres.  En prenant cette décision, la Ligue entend ainsi conserver la maîtrise du calendrier et les modalités de la commercialisation des droits du Top 14. La Ligue communiquera ultérieurement sur les suites qui seront données à cette décision ».

Le lendemain, les sociétés du Groupe Canal Plus ont repris les négociations. Celles-ci ont débouché sur une offre remise le 14 janvier 2014 portant sur la diffusion à titre exclusif des matches du Top 14 pour cinq saisons de 2014/2015 à 2018/2019 pour un montant de 355 millions d'euros, soit une moyenne de 71 millions par saison. Si cette offre a recueilli un accord de la Ligue, elle n'a toutefois pas fait l'objet d'un contrat. Le projet datant du 19 février 2014 est demeuré en suspens.

Dans sa saisine, la société beIN Sports a dénoncé trois pratiques qu'elle estimait contraires aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce, ainsi qu'aux articles 101 et 102 du TFUE et résultant de :

- l'inclusion dans le contrat de 2011, conclu entre les sociétés du Groupe Canal Plus et la Ligue, d'un droit de priorité au profit du Groupe Canal Plus qui serait constitutive d'un abus de position dominante des sociétés de ce groupe et d'une entente entre lui et la LNR ;

- la stratégie d'intimidation judiciaire mise en 'uvre par les sociétés du Groupe Canal Plus à l'encontre de la Ligue, qui serait constitutive d'un abus de position dominante de sa part ;

- la conclusion de l'accord du 14 janvier 2014, à la suite de l'interruption de la procédure de mise en concurrence, attribuant les droits d'exploitation audiovisuelle du Top 14 au Groupe Canal Plus pour cinq saisons, qui serait constitutive d'un abus de position dominante de ce groupe et d'une entente entre lui et la Ligue.

L'Autorité de la concurrence, après avoir recueilli le 21 mai 2014 l'avis du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), a par décision n° 14-MC-01, rendue le 30 juillet 2014, prononcé les mesures conservatoires ainsi énoncées :

« - Article 1er : Il est enjoint à la Société d'Édition de Canal+, à la Société Groupe Canal Plus et à la Ligue nationale de rugby de suspendre l'accord conclu le 14 janvier 2014 à l'issue de la diffusion de la saison 2014/2015 du Top 14.

- Article 2 : Il est enjoint à la Ligue nationale de rugby de procéder à une nouvelle attribution des droits d'exploitation audiovisuelle du Top 14 au titre de la saison 2015/2016 et des saisons suivantes, dans les meilleurs délais et au plus tard avant le 31 janvier 2015, à l'issue d'une procédure transparente, non discriminatoire et pour une durée qui ne soit pas disproportionnée.

- Article 3 : Il est enjoint à la Société d'Édition de Canal Plus et à la Société Groupe Canal Plus de cesser, dès la notification de la présente décision, toute communication, qu'elle soit externe ou dirigée vers leurs abonnés, relative à l'attribution exclusive pour les cinq prochaines saisons des droits du Top 14 jusqu'à la saison 2018/2019 ».

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