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Livreurs à vélo : requalification en CDI possible

Publié le : 19/12/2018 15:00:35
Catégories : Internet | Informatique , Travail | Social | RH

Affaire Take Eat Easy

A situations juridiques distinctes, solutions juridiques distinctes. Le refus de requalification en CDI des contrats des livreurs Deliveroo n’a pas empêché les juges suprêmes d’adopter une solution contraire pour la société Take Eat Easy. L’élément déterminant retenu dans cette affaire a été le système de Bonus / Malus mis en place par l’employeur (un système de sanction), un des critères clefs de l’existence d’un lien de subordination.

Est hautement risqué, l’adoption d’un système de sanction associé à une application mobile dotée d'un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position d’un coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci.

La société Take Eat Easy utilisait une plate-forme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plate-forme et des livreurs à vélo exerçant leur activité sous un statut d'indépendant. Un livreur autoentrepreneur a obtenu la requalification de son contrat de prestation de services en CDI en raison du lien de subordination auquel était soumis le salarié.

Périmètre du lien de subordination dans l’économie collaborative

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

En l’occurrence, la société Take Eat Easy avait mis en place un système de bonus : le bonus "Time Bank" en fonction du temps d'attente au restaurant et le bonus "KM" lié au dépassement de la moyenne kilométrique des coursiers et de pénalités ("strikes") distribuées en cas de manquement du coursier à ses obligations contractuelles. Le système était le suivant : un "strike" en cas de désinscription tardive d'un "shift" (inférieur à 48 heures), de connexion partielle au "shift" (en-dessous de 80 % du "shift"), d'absence de réponse à son téléphone "wiko" ou "perso" par le livreur pendant le "shift", l'incapacité à réparer une crevaison, le  refus de faire une livraison, la circulation sans casque, deux "strikes" en cas de "No-show" (inscrit à un "shift" mais non connecté), connexion en dehors de la zone de livraison ou sans inscription sur le calendrier, trois "strikes" en cas d'insulte du "support" ou d'un client, de conservation des coordonnées de client, de tout autre comportement grave. Sur une période d'un mois, un "strike" ne portait à aucune conséquence, le cumul de deux "strikes" entraînait  une perte de bonus, le cumul de trois "strikes" entraînait la convocation du coursier "pour discuter de la situation et de (sa) motivation à continuer à travailler comme coursier partenaire de Take Eat Easy" et le cumul de quatre "strikes" conduisait à la désactivation du compte et la désinscription des "shifts" réservés.

Rappel sur la requalification en CDI

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Le contrat de travail se définit par l'engagement d'une personne à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre moyennant rémunération, le lien de subordination juridique ainsi exigé se caractérisant par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Le fait que le travail soit effectué au sein d'un service organisé peut constituer un indice de l'existence d'un lien de subordination lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution. Ainsi qu'en dispose l'article L 8221-6.1 du code du travail, « sont présumé[e]s ne pas être lié[e]s avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription » notamment « les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ». L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Analyse comparative avec le système Deliveroo

La société Deliveroo France est une société intermédiaire de l'économie collaborative qui utilise une plateforme web et une application afin de mettre en relation des restaurateurs partenaires, des clients passant commande de repas par le truchement de la plateforme et des livreurs exerçant leur activité sous un statut indépendant.

Présomption de non salariat des Livreurs

A leur défaveur, les personnes physiques immatriculées (RCS ou autres) et donc les livreurs Deliveroo sont présumées ne pas être liées, avec le donneur d'ordre, par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription (article L. 8221-6. I du code du travail). L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les conditions d’exercice de leur prestation les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard du prestataire.

Il appartient donc au livreur de renverser la présomption de non salariat et la circonstance qu'il ait été incité par la société Deliveroo à s'inscrire en tant qu'auto-entrepreneur ou que celle-ci ait elle-même effectué les démarches en ce sens reste sans incidence pour les Tribunaux. Par ailleurs, le système d’auto-facturation mis en place par Deliveroo, justifié pour des raisons d'efficacité et de simplicité, a été jugé légal et il ne constitue pas un indice de relation salariale.

L’existence d’un lien de subordination

Il a été jugé que le contrat de prestation de service Deliveroo ne révélait pas de lien d’autorité ni même de dépendance économique du prestataire, dans la mesure où ce dernier n'est lié à la société Deliveroo par aucune clause d'exclusivité ou de non-concurrence. Le prestataire reste ainsi libre chaque semaine de déterminer lui-même les plages horaires au cours desquelles il souhaite travailler, ou de n'en sélectionner aucune. A toutes fins utiles, le contrat Deliveroo stipule, entre autres, que :

-       « Le prestataire et le client déterminent, avant le début de chaque semaine, le temps consacré à l'exécution de la prestation de services ainsi que sa répartition entre les jours de la semaine» ;

 

-       Le prestataire accomplit sa prestation dans les meilleurs délais, avec courtoisie, diligence ainsi qu'avec tout le soin, l'attention et les efforts nécessaires à la promotion des intérêts de Deliveroo ;

 

-       La réalisation de la prestation de services se fera dans le respect des pratiques vestimentaires de Deliveroo et le prestataire s'engage, en tout état de cause, à porter une tenue propre et en bon état général » ;

 

-       Deliveroo aura la possibilité de contrôler la bonne exécution de la prestation de services par le prestataire ;

 

-       Le prestataire utilise son propre scooter, sa propre moto ou son propre vélo dans le cadre de l'exécution de sa prestation de services et doit disposer d'un smartphone et d'un abonnement téléphonique lui autorisant un accès à des services vocaux et de données pendant toute la durée d'exécution de sa prestation de services,

 

-       Le prestataire peut sous-traiter ses prestations sous réserve de l'accord préalable de Deliveroo,

 

-       Le prestataire exerce son activité de livraison en toute indépendance sans être subordonné de quelque manière que ce soit à Deliveroo qui ne peut le soumettre à aucun droit de supervision, de direction ou de contrôle, le contrat étant exclusif de toute relation de travail salarié,

 

-       Le prestataire, qui déclare être régulièrement immatriculé auprès du registre du commerce et des sociétés et en règle au regard de la législation en vigueur fait, son affaire personnelle du paiement des cotisations sociales, charges et impôts afférents à l'exercice de la prestation de services,

 

-       La prestation de services fait l'objet d'un prix forfaitaire global égal à 7,5 euros par heure complète effectuée incluant le cas échéant le coût en carburant, prix majoré d'un montant fixe de 2 euros par livraison complète assurée et des éventuels pourboires versés par les clients,

 

-       Si le prestataire s'engage à n'exercer aucune activité pour d'autres donneurs d'ordre lors du temps de prestation choisi, il peut le reste du temps contracter et s'engager auprès d'autres sociétés ou personnes,

 

-       Le contrat est conclu pour une durée de douze mois renouvelable par tacite reconduction pour une durée équivalente, sauf volonté contraire de l'une des parties notifiée à l'autre par lettre recommandée avec avis de réception au moins quatorze jours avant le terme du contrat,

 

-       La société comme le prestataire peuvent sans délai de prévenance procéder à la résiliation avec effet immédiat de la convention en cas de négligence ou manquement grave de l'autre partie à ses obligations,

 

-       Hormis ces cas, chacune des parties peut mettre fin à la convention moyennant le même préavis dont la durée augmente en fonction de celle du contrat ».

Les shifts et zones d’intervention

Les juges sont analysé les conditions effectives dans lesquelles le livreur a exercé son activité de coursier à vélo. Tout comme les autres livreurs, il choisissait non seulement ses périodes de prestation (« shift ») mais également la zone de ses interventions. Le refus d'un shift n’exposait pas le coursier à une sanction ou une éventuelle retenue sur facture.

Travail pour des donneurs d’ordres multiples

Si compte tenu de la nature de ses prestations (livraison de repas) l'intéressé ne pouvait lors de leur exécution se consacrer à d'autres tâches, en revanche il lui était expressément donné la possibilité de travailler pour d'autres donneurs d'ordre en dehors des shifts, n'étant tenu par une obligation d'exclusivité ou de non-concurrence.

Et la tenue Deliveroo : quel impact ?

La seule circonstance que le livreur porte pendant les shifts une tenue de nature à participer à la promotion de l'entreprise ne suffit pas à caractériser le lien de subordination.

Participation à un service organisé

Par ailleurs, l'intégration du coursier à vélo dans un service organisé était toute relative puisqu'il n’existe pas d’obligation de participer à quelque réunion, quelque formation ou quelque événement que ce soit au sein de Deliveroo. Le coursier ne justifiait d'aucune directive, d'aucune instruction ni d'aucun ordre que lui aurait donné la société. A ce titre, l'itinéraire proposé correspondait uniquement à la proposition de Google Maps, les livreurs étant libres de choisir leur itinéraire.

En conclusion, cette liberté totale de travailler ou non dont a bénéficié le coursier, lui permettait, sans avoir à en justifier, de choisir chaque semaine ses jours de travail et leur nombre sans être soumis à une quelconque durée du travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier mais aussi par voie de conséquence de fixer seul ses périodes d'inactivité ou de congés et leur durée, est exclusive d'une relation salariale. La qualification de contrat de travail a donc été exclue.

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