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Films EOF de catalogue : pas de restrictions de concurrence

Publié le : 14/12/2020 09:49:38
Catégories : Audiovisuel | Cinéma

Compte tenu de la définition du marché pertinent (achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue), les accords conclus entre les groupes historiques en clair et les producteurs de films EOF ne peuvent plus être considérés comme ayant pour effet cumulatif d’entraver la concurrence.

Affaire C8

Par une plainte transmise le 9 décembre 2013 à l’Autorité de la concurrence, les sociétés Groupe Canal +, D8 et D17 (devenues respectivement C8 et CStar) ont dénoncé des ententes anticoncurrentielles entre les producteurs de films d’expression originale française (ci-après les « films EOF ») et les chaînes historiques en clair (c’est-à-dire celles qui préexistaient à la création de la télévision numérique terrestre), qui auraient pour effet cumulatif de verrouiller l’accès des chaînes de la télévision numérique terrestre gratuite, non adossées à une chaîne historique en clair, aux droits de diffusion des films EOF, dits « de catalogue », en faisant figurer des clauses de priorité et de préemption dans tous les contrats de préfinancement que les chaînes historiques concluent avec les producteurs des films.

Elles faisaient valoir dans leur plainte qu’en pratique, ces clauses permettaient aux chaînes historiques de réserver la diffusion des films à leur propre antenne ou à celle des chaînes qui leur sont affiliées, sans limitation de durée, au détriment des chaînes concurrentes, et alors même que les diffusions préachetées sont déjà intervenues.

Dans le rapport qui a été notifié aux plaignantes et aux entreprises mises en cause, les services d’instruction ont révisé la délimitation du marché opérée dans la notification des griefs, à la lumière notamment des éléments apportés par les entreprises mises en cause dans leurs observations. Ils ont ainsi considéré que le marché pertinent était celui des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue.

C’est dans ce contexte qu’a été rendue la décision n°19-D-10 du 27 mai 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’acquisition de droits relatifs aux oeuvres cinématographiques d’expression originale française dites « de catalogue » (ci-après la « décision attaquée »), par laquelle l’Autorité a considéré, en application des dispositions de l’article L.464-6 du code de commerce, qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure.

La Cour d’appel de Paris a validé cette analyse.

Accès aux Films EOF : pas de restriction de concurrence

Si les clauses litigieuses des contrats de préfinancement conclus par les groupes TF1, France Télévisions et M6 avaient pour effet de bloquer l’accès aux films EOF de catalogue, par leur effet cumulatif, les chaînes de la TNT non adossées ne pourraient pas ou peu diffuser de films EOF, dès lors qu’elles réalisent en règle générale peu d’investissements au stade du préfinancement.

Or, les études et données transmises par le CSA et le CNC établissent que les chaînes en clair de la TNT dont la convention conclue avec le CSA prévoit une programmation incluant du cinéma, telle que la chaîne C8, diffusent au moins 40 % de films EOF sur leur volume total de diffusions de films et diffusent un volume proche du maximum autorisé, étant rappelé qu’en application du décret n°90-66 déjà évoqué, les chaînes en clair ne peuvent diffuser qu’un maximum de 192 oeuvres cinématographiques de longue durée dont un maximum de144 en première partie de soirée.

Par ailleurs, le fait que le nombre de diffusions de films EOF par les chaînes C8 et NRJ12 est sensiblement similaire à celui réalisé par les chaînes adossées à des chaînes historiques, TMC (groupe TF1) et W9 (groupe M6), tant sur la période 2012 à 2014 (données CSA avis de 2015), qu’en 2017 et 2018, conforte encore l’absence d’effet cumulatif restrictif de concurrence, étant observé qu’aucun élément ne permet de considérer que les situations antérieures et postérieures à ces périodes se seraient démarquées de cette relative homogénéité.

Il est, en outre, établi qu’il existe des possibilités réelles et concrètes d’acquérir pour une chaîne tierce les droits de diffusion de films EOF de catalogue préfinancés compte tenu des contraintes, qui empêchent les bénéficiaires des clauses litigieuses d’en faire application de manière systématique.

L’avis du CSA de 2015 démontre aussi que les films préfinancés circulent en dehors du groupe préfinanceur.  Les rapports du CSA relatifs au « Respect des quotas de diffusion d’oeuvre des chaînes hertziennes nationales privées gratuites et du service Canal+ » concernant les exercices 2017 et 2018 confirment également que les chaînes de la TNT non adossées à des groupes historiques diffusent un nombre important de films coproduits.

Les chaînes de la TNT non adossées ont été non seulement en mesure de diffuser des films EOF de catalogue mais au surplus en capacité de réaliser des audiences importantes en diffusant des films attractifs auxquels étaient attachés des droits préférentiels.

C’est en conséquence à juste titre que la décision attaquée a retenu, qu’en toute hypothèse, il ne peut être utilement soutenu qu’un ensemble d’accords couvrant le cinquième du marché en cause est susceptible de produire un effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif pour empêcher les concurrents des entreprises mises en cause de s’approvisionner en droits de diffusions de films EOF de catalogue.

Pas d’effet cumulatif de blocage

Aux termes de l’article 101, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

L’article L.420-1 du code de commerce prohibe de la même manière ces comportements.

Conformément à la théorie dite « de l’effet cumulatif » consacrée par la Cour de justice dans un arrêt du 12 décembre 1967 ( C- 23/67, Brasserie De Haecht / Wilkin Janssen) « en frappant les accords, décisions ou pratiques en raison, non seulement de leur objet, mais aussi de leurs effets au regard de la concurrence, l’article 85, §1 [devenu 101 TFUE], implique la nécessité d’observer ces effets dans le cadre où ils se produisent, c’est-à-dire dans le contexte économique et juridique au sein duquel ces accords, décisions ou pratiques se situent et où ils peuvent concourir, avec d’autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ; qu’il serait vain, en effet, de viser un accord, une décision ou une pratique en raison de leurs effets, si ceux-ci devaient être séparés du marché où ils se manifestent et ne pouvaient être examinés que détachés du faisceau d’effets, convergents ou non au milieu desquels ils se produisent ».

Cette théorie repose sur la nécessaire prise en compte du contexte dans lequel s’inscrivent des contrats pour apprécier leurs effets au regard de la concurrence, de sorte que rien ne justifie de restreindre son champ d’application à la seule hypothèse des contrats assortis de clauses d’exclusivité.

En l’espèce que les pratiques anticoncurrentielles alléguées ne résultent pas d’accords de volonté qui pris individuellement seraient prohibés, mais de la mise en oeuvre indépendante de plusieurs contrats identiques, ce qui pose la question de savoir si et dans quelle mesure ces contrats produisent un effet cumulatif de blocage du marché.

Il importait en conséquence de déterminer si les conditions énoncées par la Cour de justice pour caractériser un effet cumulatif significatif de blocage, notamment dans l’arrêt du 28 février 1991, Delimitis, (C-234/89), étaient réunies.

Selon cette jurisprudence, il convient, tout d’abord, de rechercher si, compte tenu du contexte économique et juridique dans lequel s’intègrent les contrats litigieux, le marché pertinent est difficilement accessible pour des concurrents qui souhaiteraient s’implanter sur ce marché ou y élargir leur part de marché, puis, lorsque l’examen révèle que le marché est difficilement accessible, d’apprécier dans quelle mesure les contrats conclus par les opérateurs mis en cause contribuent de manière significative à l’effet de blocage produit par l’ensemble de ces contrats, placés dans leur contexte économique et juridique.

Or, la première condition n’est pas remplie dès lors que le marché des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue n’est pas difficilement accessible aux nouvelles chaînes de la TNT non adossées à des chaînes historiques en clair. Il résulte en effet de l’avis du CSA n°2015-11 qu’ «'à l’exception de France 5, de RMC découverte et de l’Equipe 21, dont la programmation est essentiellement centrée sur les documentaires ou le sport, de France Ô et de Chérie 25, toutes les chaînes en clair diffusent un volume important d’oeuvre cinématographique, proche du maximum autorisé » et qu’à de rares exceptions ponctuelles, l’ensemble des chaînes en clair satisfont à leur obligation de diffuser au moins 40 % de films EOF sur leur volume total de diffusions de films.

Par ailleurs, l’avantage concurrentiel contesté, résultant de l’insertion des droits préférentiels litigieux, doit être relativisé à deux titres : i) d’une part, il reste tributaire des choix opérés par le public et du succès du film auprès de lui ; ii)  d’autre part, il couvre une part de marché réduite, limitée aux films de catalogue préfinancés qui seuls en contiennent.

Enfin, aux termes du point 10 de la Communication de la Commission européenne concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence « [l]orsque, sur un marché en cause, la concurrence est restreinte par l’effet cumulatif d’accords de vente de biens ou de services contractés par différents fournisseurs ou distributeurs (effet cumulatif de verrouillage de réseaux parallèles d’accords ayant des effets similaires sur le marché) (…)[o]n considère que les fournisseurs ou distributeurs individuels dont la part de marché n’excède pas 5 % ne contribuent en général pas d’une manière significative à un effet cumulatif de verrouillage. Un effet cumulatif de verrouillage n’existera vraisemblablement pas si moins de 30 % du marché en cause est couvert par des (réseaux) d’accords parallèles ayant des effets similaires ».

Segmentation du marché des droits de diffusion

La juridiction a également considéré qu’il est toujours pertinent de définir un marché des droits portant sur les films EOF de catalogue, distinct de l’acquisition de films EOF par les chaînes de télévision en clair dans le cadre de préachats, compte tenu notamment de leur attractivité différente et du fait que les films de catalogue ne sont plus soumis à la chronologie des médias.

Reste applicable, sans nécessité d’une nouvelle analyse, la segmentation du marché des droits de diffusion en clair de film EOF, distinguant : le marché du préachat de droits de diffusion (lui-même segmenté en deux sous marchés : le marché du préachat de droits de diffusion de films français en première fenêtre en clair et le marché du préachat de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair) et, le marché de l’achat de droits de diffusion de films français.

Définition du marché

La définition du marché permet d’identifier le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre les entreprises et de déterminer s’il existe des concurrents réels, capables de peser sur le comportement des entreprises en cause ou de les empêcher d’agir indépendamment des pressions qu’exerce une concurrence effective. Il est donc nécessaire,  de délimiter le marché pertinent avec une précision suffisante pour être en mesure d’apprécier les possibilités pour les concurrents des entreprises mises en cause d’accéder à ce marché.

Il ressort d’une analyse constante, tant nationale qu’européenne, qu’un marché comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés. Il est tout aussi constant que la notion de substituabilité n’a pas à être absolue, une substituabilité parfaite entre produits s’observant rarement.

Le marché des films EOF

Appliqué aux films EOF, l’examen doit intervenir sur le marché de l’achat des droits de diffusion télévisuelle d’oeuvres cinématographiques, la question en débat étant uniquement de savoir s’il y a lieu de restreindre le marché de l’achat des droits de diffusion de films EOF aux seuls films préfinancés par les chaînes en clair.

La segmentation actuelle du droit audiovisuel (volet concurrence), distingue le marché de l’achat de droits de diffusion correspondant aux films de catalogue et celui du préachat de droits de diffusion qui concernent des films inédits (lui-même segmenté en deux sous marché) repose sur une différenciation économique tenant compte de l’attractivité intrinsèque de l’inédit et, davantage encore, de la première fenêtre de diffusion par rapport aux diffusions postérieures.

Si les films EOF de catalogue se répartissent en trois grandes catégories en fonction de leur potentiel commercial et de leur valorisation, le seul critère d’un prix plus élevé que la moyenne des autres droits (films de catégorie « A » à très fort potentiel d’audiences) est insuffisant pour définir à lui seul un marché pertinent au sens du droit de la concurrence.

À cet égard, il n’est pas pertinent d’invoquer la situation spécifique des droits relatifs aux compétitions sportives dites « premium », tels que les droits de la Ligue 1, pour soutenir le contraire, dans la mesure où de tels droits n’ont pas vocation à être rediffusées et présentent une nature événementielle différente des films de catalogue.

En outre, au niveau des films EOF, la différenciation de valeur est déjà prise en compte dans la segmentation de marché distinguant l’achat des droits de films de catalogue des préachats, avec la sous segmentation entre les différentes fenêtres de diffusion. L’événementiel, l’inédit, se retrouve ainsi dans la première fenêtre de diffusion.

La nécessité d’une segmentation plus fine n’a jamais été retenue. La segmentation actuelle a été considérée comme pertinente par le CSA à plusieurs reprises, dans son avis n° 2015-11  mais encore récemment dans l’avis n° 2019-05.

La segmentation actuelle n’a pas non plus été remise en cause à l’issue du test de marché réalisé auprès des opérateurs de secteur, lors du réexamen des engagements pris par les sociétés Vivendi et groupe Canal + dans le cadre de la décision n° 17-DCC-93 du 22 juin 2017 portant réexamen des engagements de la décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal +.

La notion de « film de catalogue attractif » n’est quant à elle pas suffisamment homogène pour justifier, ni même permettre, une sous-segmentation du marché des droits de diffusion relatifs aux films EOF de catalogue. Le potentiel d’audience d’un film lors d’une diffusion télévisée dépend de plusieurs facteurs exogènes propres aux circonstances de sa diffusion, tels que les programmes diffusés par les chaînes concurrentes dans la même fenêtre de diffusion.  En outre, les critères d’appréciation ne sont pas les mêmes en fonction des acteurs économiques et dépendent du marché sur lequel évolue l’acteur, sa stratégie éditoriale, son public.

S’il est exact que les préachats visent, le plus souvent, les films aux devis les plus élevés, présumés être les plus attractifs, le développement des chaînes TNT filiales des grands groupes audiovisuels a eu pour effet d’accroître le nombre de fenêtres de diffusion acquises dans le cadre des préachats pour les films EOF.

La multiplication des fenêtres de diffusion lors du premier cycle d’exploitation du film conduit à une plus grande « usure » lorsqu’il devient un film de catalogue, de sorte que le film est alors moins générateur d’audience. Il ne parait donc pas pertinent de poser pour principe que l’attractivité d’un film de catalogue, c’est-à-dire sa capacité à générer de l’audience, est liée à la circonstance qu’il a fait l’objet d’un préfinancement par une chaîne historique en clair ou que ce préfinancement garantirait une surperformance des audiences. Il n’y a donc aucune automaticité entre préfinancement par des chaînes en clair, succès au box-office et fortes audiences télévisuelles.

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